Renforcer le premier pilier: une perspective écologique et sociale
En vue des votations du 3 mars, de nombreux·ses militant·es de la Grève du Climat et de la Grève pour l'Avenir s'opposent à l'initiative sur les rentes et à la hausse de l'âge de la retraite, et soutiennent l'initiative pour une treizième rente AVS. Quel rapport avec l'environnement? Éléments de réponse.
Le soir du 3 mars, on saura ce qu'aura décidé le corps électoral suisse concernant deux initiatives populaires : l'initiative sur les rentes, c'est-à-dire le projet de la jeunesse libérale-"radicale" d'augmenter l'âge de la retraite; et l'initiative AVS x 13, c'est-à-dire le projet de l'Union syndicale suisse d'octroyer une treizième rente AVS aux retraité·es.
Pourquoi est-ce que la Grève du Climat devrait-elle prendre position ? Pourquoi est-ce que des militant·es de la Grève du Climat et de la Grève pour l'Avenir s'engagent pour la treizième rente et contre l'augmentation de l'âge de la retraite, se sont engagée·es contre AVS21, et s'engageront contre la réforme de la LPP (deuxième pilier) ?
C'est que le système de retraites est aussi un enjeu environnemental.
Abordons tout d'abord quelques éléments techniques et quelques critiques relativement évidentes, pour y voir plus clair.
Le système de retraites suisse est basé sur un modèle dit à trois piliers.
Le premier pilier, l'AVS (assurance vieillesse et survivant·es), fonctionne par répartition. C'est-à-dire que les cotisations payées par les personnes dites actives sont immédiatement octroyées aux personnes à la retraite. L'AVS se caractérise notamment par une rente plancher (tout le monde touche quelque chose, même en ayant très peu cotisé) et une rente plafond (il y a un maximum, même si les cotisations, elles, ne sont pas plafonnées). De plus, des bonifications pour l'éducation des enfants et autres tâches d'assistance sont octroyées. Ce pilier permet donc un certain rééquilibrage entre riches et pauvres, et permet aussi de limiter les différences de revenu entre hommes et femmes. Ce pilier est très robuste, et sa fortune augmente. Par contre, le mandat constitutionnel de l'AVS disant que "les rentes doivent couvrir les besoins vitaux de manière appropriée" n'est pas respecté, et des prestations complémentaires doivent parfois être octroyées.
Le deuxième pilier, régi par la LPP (loi sur la prévoyance professionnelle), fonctionne par capitalisation. C'est-à-dire que l'on touche des rentes proportionnelles aux cotisations, comme si l'on avait planqué des billets ou des lingots dans un coffre (ce n'est en fait pas vrai, nous y reviendrons ci-dessous). Il est obligatoire de cotiser à une caisse de pension dès que l'on gagne suffisamment. Ce pilier est l'un des piliers fondamentaux du système de retraite, depuis que les assureurs ont réussi à convaincre la droite (majoritairement opposée à l'AVS depuis avant même sa mise en place) et une partie de la gauche et des syndicats (qui s'en mordent les doigts mais ont cru pouvoir contrôler les caisses de pension) de lui donner une place comparable à celle de l'AVS. Les rentes LPP sont très inégales, et de manière générale les femmes gagnent beaucoup moins que les hommes (car elles sont surreprésentées dans les bas salaires, et qu'elles réduisent souvent leur temps de travail pour s'occuper des enfants). Beaucoup de gens n'ont même pas de deuxième pilier.
Le troisième pilier fonctionne grosso modo comme le deuxième, mais sur une base volontaire. Il permet un revenu d'appoint, mais peu de salarié·es y cotisent et touchent une rente. Il permet aussi à certain·es indépendant·es de compenser l'absence de deuxième pilier.
L'initiative des syndicats vise à donner une treizième rente aux retraité·es, en précisant que les prestations complémentaires ne seront pas impactées. Une des principales critiques est que cela coûtera relativement cher alors que la rente additionnelle profitera aussi aux riches. De plus, les prestations AI je seraient pas relevées. Une partie de la droite estime aussi qu'il faudra augmenter la TVA, mais c'est une critique quelque peu hypocrite étant donné que c'est le parlement à majorité de droite qui réglera le financement, et que les syndicats souhaiteraient passer par des cotisations paritaires proportionnelles au revenu. De plus, la droite et le gouvernement mettent en garde contre l'effondrement imminent de l'AVS.
Mais nous ne prenons pas cette menace au sérieux: l'AVS est robuste, les rentes augmentent (alors que celles du deuxième pilier baissent malgré des hausses de cotisations) de même que la fortune, et les scénarios catastrophes brandis depuis les années 1940 ne se sont jamais réalisés - malgré un doublement des rentes en 1972, sous la pression d'une initiative du Parti du Travail (pour l'anecdote, au début du siècle passé, les jeunes radicaux soutenaient pourtant la création d'une assurance de ce type, tout comme les grévistes de 1918 dont c'était une revendication centrale).
L'initiative des JLR, elle, vise d'abord à augmenter l'âge de la retraite (à 66 puis 67 ans) puis à lier âge de la retraite et espérance de vie. L'argument avancé est que l'AVS serait au bord de la faillite à cause du vieillissement de la population et qu'il faudrait consentir à des efforts supplémentaires pour préserver le premier pilier. Nous l'avons dit, cet argument est bancal, même s'il faudra bien trouver un système de retraites qui ne repose pas sur la croissance. Une autre critique est que l'espérance de vie n'est pas uniforme selon la classe sociale et la profession. Les avocat·es ou employé·es de banque vivent en moyenne bien plus longtemps que les ouvriers·ères agricoles ou que les maçon·nes. Les effets de l'initiative pèseraient beaucoup plus sur les personnes à faible revenu ou ayant exercé un métier particulièrement pénible. De plus, dans un pays aussi riche que la Suisse, beaucoup de gens trouvent scandaleux de demander à tout un chacun de travailler encore plus longtemps.
Mais quel rapport avec la Grève du Climat?
Notre mouvement se bat pour la justice sociale et la justice climatique (cette dernière est une de nos revendications centrales), et l'AVS a un effet redistributeur et forme un filet financier important pour la plupart des retraité·es, alors que le deuxième pilier perpétue les inégalités et permet aux intermédiaires de faire disparaître des milliards de francs issus des cotisations dans la nature. Il nous paraît donc important de renforcer le premier pilier. De plus, nous nous battons, notamment dans le cadre de la Grève pour l'Avenir, pour une réduction généralisée du temps de travail. Nous voulons produire moins et mieux, et nous voulons du temps pour des activités favorables à l'environnement, sans compter l'effet bénéfique d'une réduction du temps de travail pour la santé, tant au niveau individuel que de la société.
Cela justifierait déjà que nous soutenions l'initiative pour la treizième rente et que nous rejetions l'initiative des JLR.
Mais en plus de cela, l'impact du premier et du deuxième piliers sur l'environnement sont très différents. Pour rappel, l'AVS fonctionne par répartition, les cotisations sont donc rapidement distribuées aux retraité·es, sans intermédiaire ou presque. La fortune de l'AVS, de quelques dizaines de milliards, est en partie investie, y compris dans des projets écocides, mais les sommes en jeu pèsent peu face au deuxième pilier.
Nous avons dit plus haut que le deuxième pilier fonctionnait par capitalisation, c'est-à-dire que la personne qui cotise constitue un capital dans lequel elle va puiser à la retraite. Tout d'abord, cela pose un problème en termes de revalorisation des rentes: les salaires nominaux augmentent alors que les salaires réels stagnent depuis une bonne vingtaine d'années (et même baissent depuis quelques années), mais les rentes dépendent du capital nominal accumulé.
Mais surtout, il ne faut pas croire que les cotisations sont enfermées dans un coffre et ne bougent pas. Les cotisations alimentent des fonds qui, cumulés, s'élèvent à plus de 1000 milliards de francs. Cette fortune énorme est investie très majoritairement dans des domaines néfastes à l'environnement, notamment les énergies fossiles. Le deuxième pilier constitue de ce fait un problème climatique et écologique important. On peut encore ajouté que le capital du deuxième pilier non seulement ne dort pas dans un coffre, mais qu'en plus une partie substantielle en est ponctionnée pour couvrir des "frais de gestion" opaques et que les personnes qui cotisent ne décident pas comment "leur" argent est géré ni comment il leur est reversé à la retraite.
La retraite par répartition est beaucoup plus respectueuse de l'environnement et beaucoup plus juste socialement, surtout si, comme avec l'AVS, des rentes plancher et plafond et des bonifications pour taches éducatives et d'assistance sont mises en place.
C'est pour cela qu'aux côtés des syndicats, des mouvements féministes et de la Grève pour l'Avenir, nous nous mobilisons pour AVS x 13 et contre la hausse de l'âge de la retraite.
Voir aussi :
Plus de temps et moins d’émissions pour notre avenir